Comme il est plus difficile pour moi de tenir le journal quotidiennement, nous nous sommes mis au rythme africain, il faut prendre son temps !
Quoique depuis que nous sommes arrivés à Dakar, le temps nous l’avons pris pour le remplir de multiples activités, notamment de programmations de films (ça tombe bien, c’est notre projet !).
Tout d’abord, notre semaine passée à la Voile d’or. D’un côté, nous étions contents de pouvoir profiter d’un moment à terre où nous étions logés et nourris (et bien nourris, même si ce n’était pas des plats sénégalais mais plutôt européens) mais de l’autre, nous n’étions pas à notre place, et de ce fait le projet non plus. Endroit touristique, belle plage remplie de cocotiers où il faut payer 1000 francs CFA en journée pour pouvoir s’y baigner, vous imaginez que ce n’est pas un lieu populaire où les dakarois se rendent quotidiennement… Le festival du film de quartier n’avait encore jamais organisé de projections dans ce quartier chic de « Bel air », éloigné du centre ville. Conséquence : malgré le grand engouement de l’équipe du Media centre « vous aurez pleins de monde on en est sûr, la communication est passée », nous n’avons eu qu’une vingtaine de personnes lors des 3 projections à la Voile d’or. Les spectateurs n’étaient même pas festivaliers mais habitants du quartier, personnes travaillant près de la Voile d’or, amis rencontrés depuis notre arrivée ou voileux du yacht club du CVD. Ils étaient venus grâce à notre invitation ou grâce à NOS affiches faites mains deux jours avant, et non par la publicité du festival. Bien sûr nous étions un peu déçus dans un premier temps, même si nous nous doutions qu’il n’y aurait pas foule.
Au final, nous garderons beaucoup de positif des séances de la Voile d’or : en petit comité, nous avons pu échanger sur les films et tous les gens venus aux séances ont passé un superbe moment de cinéma. Les premiers films africains en compétition étaient pour la plupart de bonne qualité, avec toujours en ligne de mire un message fort à exposer. Un des courts métrages filmait de jeunes talibés mendiant dans les rues de Dakar, la réalisatrice Aïcha Thiam nous a fait l’honneur de venir en parler après la séance. Les films de Sembene Ousmane ont également remporté un vif succès, notamment Moolade, son dernier film contre l’excision. Une jeune africaine est sortie bouleversée de la projection, m’expliquant qu’elle n’avait jamais vu un film de ce genre, criant de vérité. Organiser plusieurs séances dans un même lieu est très intéressant, nous avions déjà nos habitués qui nous annonçaient avec plaisir avoir discuté du film de la veille toute la journée ! Un dakarois d’une quarantaine d’année nous racontait également aller au cinéma étant petit, prenant trois tickets pour la journée, mais les films proposés étaient des films de Kung-Fu ou des films hindous, jamais africains. Maintenant il n’y a pratiquement plus de cinéma à Dakar alors la question du choix du film ne se pose même plus ! Le dernier soir nous avons projeté un premier long métrage sénégalais, Jaaro Bi, tourné dans un quartier de Dakar (populaire celui là) nommé Pikine. Les 3 acteurs principaux étaient présents, nous expliquant que le film a fait un tabac dans tout le Sénégal, mais n’est jamais passé à la télé, ni dans les salles, tout est passé par internet et le marché noir ! Un an après sa sortie, ce n’était que la 2ème fois qu’il voyait le film sur grand écran ! Bel échange autant pour nous que pour eux, Jaaro Bi a beaucoup fait rire les spectateurs (jusqu’aux employés du bar qui regardaient le film de loin) – il a d’ailleurs obtenu le prix du public du festival -.
Pour donner une ambiance plus conviviale et accueillante aux séances, nous avons précédé les films d’un petit concert de rap dakarois, le dernier soir le groupe Kawtufu Diuma a écrit une lettre en hommage à Sembene Ousmane, très touchante.
Maintenant, notre passage à Gorée, organisation un peu laborieuse !!
Dans le programme du festival, deux séances devaient avoir lieu à l’île de Gorée, le mercredi et le vendredi. Mais voilà, la demande auprès des autorités locales n’avait pas été effectuée, malgré les dires du Media centre ! Si bien que le mercredi même nous n’avions aucune nouvelle du festival, toute l’équipe étant partie sur Ziguinchor et préférant ne donner aucun signe de vie plutôt que d’avouer avoir été submergé et n’avoir pas fini leur travail d’organisateur… Nous n’avons donc pu nous rendre à Gorée le premier soir. Pour le vendredi soir, cela s’annonçait de la même façon, j’ai donc appelé moi-même à la mairie de Gorée le jeudi matin pour expliquer notre situation. A notre surprise, la mairie n’était pas au courant de notre venue, nous expliquant avoir besoin d’une demande écrite au préalable qu’ils n’ont pas reçue. Nous décidons d’un commun accord de venir sur place et d’aviser en direct. Arrivée donc un peu hasardeuse le vendredi midi à Gorée, d’autant qu’on débarque à la mairie à l’heure de la prière (tous les musulmans vont prier le vendredi à la mosquée et s’absentent du travail entre 14 et 15h), quel manque de tact ! Le secrétaire nous demande d’attendre mais nous explique bien qu’il n’aime pas ce genre d’organisation, il a eu contact avec le media centre la veille seulement (là, on hallucine un peu), et ils n’ont toujours pas envoyé de demande écrite par mail. Ça s’annonce mal mais par chance, pendant notre attente, nous rencontrons un jeune artiste peintre, Ibrahima, qui nous emmène à l’institut Gorée, où nous sommes accueillis par la personne chargée de la culture à la mairie de Gorée, qui est prête à nous soutenir. Un coup de téléphone au maire et tout est réglé ! Le maire et son adjoint ne voient aucun inconvénient à ce que l’on organise une projection de film à Gorée, comment refuser alors que c’est gratuit ! Ils regrettent tout de même le manque de communication avec le festival, nous de même ! Nous reportons la séance au samedi soir, il nous faut tout de même un peu de temps pour prévenir les habitants qui ne sont du coup pas au courant de la projection. A la va vite, Maina confectionne une deuxième affiche pour l’occasion, que nous collons un peu partout sur l’île.
Nous devons faire face au problème similaire à la Voile d’or : le manque d’audience. Une cinquantaine de personne assiste tout de même à la séance, mais ils ne sont arrivés qu’à 22h ! Par manque de renseignements, nous avions annoncé la séance à 19h, comme pour les autres séances du festival, mais tous les gens de l’île mangent à 21h ! Ils s’organisent en fonction de la chaloupe de Dakar, ils attendent pour la plupart le retour du mari travaillant en ville pour manger en famille. Nous avons été bien surpris lorsque de 19h à 21h nous n’avions qu’une dizaine d’enfants criant devant l’écran : « un dessin animé ! Un dessin animé ! ». Nous avons donc passé quelques courts métrages d’animation pour les faire et nous faire patienter, puis les gens sont venus petit à petit.
Pleins d’espoirs et pensant que les gens n’étaient pas trop venus du fait de la programmation du soir (nous passions un vieux film de Sembene Ousmane, Le Mandat), nous décidons de proposer une autre séance le lendemain avec le film Moolade. Le lieu de projection est magnifique, on en profite ! Nous avons passé la journée du dimanche à refaire des affiches à l’arrache (plus grosses car elles n’étaient soi-disant pas visible, que le public est exigeant !) et surtout, à inciter les gens de l’île à venir voir la séance, ils nous ont tous dit : « on passera Inch’Allah » et au final, nous avons eu la même audience que la veille, une cinquantaine de personnes.
Nous ne pensions pas devoir « se battre » à ce point pour faire venir les gens au cinéma, pour une séance gratuite ! Mais on se croirait en France ! En fait sur l’île de Gorée, l’offre culturelle est présente, en masse. On n’est pas dans la même situation que dans un village où il ne se passe rien le soir, les gens de Gorée sont privilégiés par rapport à cela, une fois de plus donc, le projet n’avait pas forcément sa place ici, en tout cas on peut dire qu’il en aura plus dans les villages reculés de Casamance, enfin on l’espère !
Il y a du bon à retirer de toutes choses, nous ne pouvons regretter ce passage à Gorée, nous nous sommes fait plaisirs à découvrir cette petite île magnifique, un très bel exemple d’évolution. L’île de Gorée a transformé sa dure histoire de port négrier en île artistique, où les sous terrains sont transformés en hall d’exposition et les bunkers repeints. Une île très touristique certes (pendant trois jours nous avons du nous atteler à expliquer en vain qu’on ne venait pas pour acheter des souvenirs mais plutôt leur proposer une séance de cinéma africain) mais soucieuse de l’écologie, on ne retrouve pas les ordures partout comme c’est le cas à Dakar, le ramassage des poubelles se fait tous les matins avec un âne et sa charrette. De plus, nous avons été très bien accueillis par la mairie de Gorée, et par le port qui n’est habituellement pas donné, nous sommes conviés de revenir dès qu’on le souhaite, en préparant bien sûr à l’avance notre venue !
Nous sommes rentrés lundi soir sur Dakar, au centre de voile (le CVD), yacht club où arrive la plupart des voiliers au Sénégal. Cela tombe bien, nous retrouvons effectivement le lendemain matin le magnifique lugger « Veracity » de nos amis anglais Marcus et Jess, arrivés dans la nuit (vous savez, celui qui nous a vendu l’hélice – au passage, elle n’est toujours pas changée même si ça ne devrait plus tarder, il nous manquait une pièce qu’on a fait faire sur Dakar). C’est un immense plaisir de pouvoir se retrouver et pouvoir partager noël ensemble. Nous avons l’impression de passer noël avec notre famille « de remplacement », celle du bateau, c’est super. Noël a également un côté touchant pour nous (au-delà du fait que c’est la première fois que je passe noël loin de ma famille) : c’est le dernier jour où nous sommes tous les quatre sur Evaloa. Maina nous quitte, elle reste se poser un peu sur Dakar pour entamer son propre voyage. Elle nous offre un portrait de chacun de nous – comme elle le fait déjà pour toutes les rencontres au cours du voyage (elle dessine le personnage version bande dessinée avec une bulle où est inscrite une phrase représentant le personnage) – moment très émouvant, un voyage se termine, un autre commence… Nous allons rester à trois le temps d’aller jusqu’en Casamance, d’où BenjaMains repartira lui aussi pour la France, nous laissant seuls Yann et moi sur Evaloa, après 3 mois de vie collective, ça nous fera du bien !
Nos portraits, réalisés par Maina, notre graphiste attitrée !
Nous garderons un très beau souvenir de ce noël passé au soleil sous les cocotiers de Dakar. Nous avons tout d’abord pris l’apéro autour de bons toasts et vin français (je ne sais pas comment il a tenu tout le trajet en bateau celui-là !) à bord de Veracity, dont l’intérieur avait été décoré pour l’occasion, avec son charme originel (tout est en bois), nous nous sentions comme dans une maison un soir de noël à part que l’on crevait de chaud ! Nous avons continué la soirée sur la plage autour d’un barbecue (l’apéro trop garni nous a empêché d’apprécier les poissons grillés mais passons) et des percussions mêlées au son de l’accordéon et du saxo, inoubliable ! Pendant ce temps, au CVD, une soirée un peu kitchou et un peu cher était organisée, si bien que pas mal de gens ont fini par nous rejoindre sur la plage, on a réussi à organiser sans trop le vouloir une soirée off, pas mal !
Voilà pour ce long message, ça vous donne une bonne lecture, un bon passe temps pour cette fin d’année ! Nous ne savons pas encore où nous passerons le premier de l’an, Inch’Allah ! Dans la semaine prochaine, nous quitterons enfin Dakar pour Mbour, ville à environ 80km où loge en ce moment Yoyo, notre pote de Pontrieux venu en voilier l’année passée à Dakar. Nous allons poser l’ancre quelques jours devant chez lui et sûrement organiser une séance de cinéma dans un orphelinat là-bas.
Bonnes fêtes de fin d’année à vous tous et à bientôt pour d’autres nouvelles (sûrement plus espacées qu’avant, rappelez vous on se met au rythme sénégalais, qui n’est pas sans nous déplaire) !