Jeudi 22 : projection de l’association « Aux cinéphiles de l’eau » au bar-restaurant triskella
Voyager avec un tel projet nous amène à rencontrer de chouettes personnes, la preuve étant que notre passage à l’alliance franco-marocaine nous a amené vers Alban, un jeune français installé au Maroc depuis 8 ans. Il a passé les 5 dernières années à créer un lieu de rencontres des plus agréables, avec le calme, internet, et pour les bretons nostalgiques, des galettes de blé noir aux saveurs du soleil ! Il a nommé ce lieu le Triskella (jeu de mots du fait que la rue s’appelle « Skella »).
On a décidé ensemble de proposer une séance dans le bar, qui est équipé de tout le matériel. L’équipe de « Triskella » a en effet déjà organisé des projections, présentant souvent des films sur le thème de l’environnement. Nous pensons alors faire une petite exception au principe « Aux cinéphiles de l’eau », et prenons le choix de présenter un film militant « un autre monde est possible » de Keny Arkana (chanteuse hip hop très engagée pour des causes altermondialistes avec son collectif « la Rage du Peuple »). Le choix d’un film se fait également en fonction du lieu de projection : le Triskella est un bar fréquenté par beaucoup d’étrangers, ou des français vivant à Essaouira, ou encore des marocains mais je pense plutôt issus d’un milieu d’étudiants ou d’artistes donc nous pouvons nous permettre de passer un film engagé, en lien avec nos idées.
Comme à notre habitude, la séance s’est organisée « à l’arrache », avec pour simple moyen de communication une pauvre affiche devant le bar. Le bouche à oreille a cependant bien marché, le bar était rempli jeudi soir, avec deux femmes et deux groupes étant venus spécialement pour voir le film ! Le Triskella est un bar assez petit, tout le monde s’est serré devant le petit écran, c’était très conviviale (je m’en veux d’ailleurs de ne pas avoir pris de photos, vous pouvez tout de même vous rendre compte de l’atmosphère avec les deux photos ci-dessus).
Le documentaire n’est pas évident à regarder, 3 langues différentes sont parlées, sous-titrées en français, les interviewers parlent beaucoup, il faut rester attentif pour comprendre tous les discours énoncés, mais le public l’était ! Deux marocains étaient même scotchés devant l’écran ; on servi à manger à l’un d’eux et l’homme resta 20 minutes la galette dans les mains sans y toucher, ne voulant rien manquer du film ! Il faut dire que le sujet est intéressant : le film dénonce tout d’abord les méfaits du capitalisme néolibéralisme, de la privatisation, du FMI, de la banque mondiale (et oui, le sujet est d’actualité !) et présente ensuite différentes luttes lancées dans le monde, comme le mouvement zapatiste, la lutte des paysans en Inde qui volent l’eau privatisée pour pouvoir survivre, ou encore l’ouverture par des sans-abris de maisons abandonnées par l’état… Le film ne fait pas que montrer mais propose des alternatives, c’est ce qui a plu. Les deux marocains m’ont expliqué qu’ils ont apprécié l’aspect universel du discours entendu, qui est énoncé de façon simple, compréhensible pour tous. Le personnel du Triskella n’a pu assister à la séance, Said est tout de même sorti de sa cuisine lorsqu’à la fin, le malien nous délivre un message pleins d’espoir (il faut vous procurer le film, vous verrez par vous-même !) et m’a demandé ensuite s’il pouvait avoir une copie du film pour le voir un jour de repos. Voilà ce que l’on cherche avec notre projet, amener un débat (qui s’est fait par la suite de manière naturel, notamment sur la crise actuelle mondiale !), que l’échange se fasse ! On a fait plusieurs copies du film, les gens émus par le film vont le diffuser un peu partout, et je pense que Keny Arkana ne nous en voudra pas pour cela, elle est dans un autre combat que celui du piratage.
Yann et Pauline
Samedi 25 : Grand pas pour l’association « Aux cinéphiles de l’eau »
Tous les jours cette semaine, je suis allée au centre culturel « Dar Souiri », préparer notre première grande projection au Maroc (la séance au Triskella étant plus privée et intimiste). Nous avons beaucoup discuté avec Yasmina, la directrice, notamment pour le choix du film. Elle est marocaine mais a vécu jusqu’à l’année dernière au Canada, donc elle ne connaissait pas forcément plus que moi la réalité locale, les coutumes des gens… A défaut d’avoir un bon film marocain dans la « médiathèque » d’Evaloa, nous nous sommes repliés sur un film sénégalais « Madame Brouette », un film traitant de l’émancipation de la femme, sujet engagé donc, mais à l’africaine, c’est-à-dire expliqué de façon simple, sans revendication politique direct, bref ça devrait passer !
Nous partons du voilier samedi après-midi, accompagnés d’un « monsieur brouette » (pour pouvoir transporter le matériel de projection), direction « Dar Souiri ». Passage obligé par la douane pour sortir du port, oups, on avait oublié ce petit détail (on n’a toujours pas compris les petites habitudes locales !) : « que transportez-vous, qui êtes-vous, avez-vous l’autorisation d’organiser une séance, la liste du matériel ?… ». Yann et moi, on se retrouve dans leurs bureaux pour une série de paperasses, ils nous font réécrire plusieurs fois une lettre d’engagement (pour qu’on assure que l’on va ramener le matériel au port, ils ont peur du trafic), on est sûr que c’est pour nous faire perdre notre temps, et que l’on finisse par leur donner un bakchich, pas question ! On a bien cru qu’il en était fini de la séance, mais par je ne sais quelle chance, il nous laisse filer, choukran !
Le matériel de projection apprécie de se retrouver en intérieur, on en profite pour bien nettoyer l’écran avant de l’installer. A Dar Souiri, il y a un cours de chorale terminant à 18h, on a la bonne idée de proposer aux enfants à la sortie de regarder quelques courts-métrages d’animation, et c’est parti pour 50 bambins scotchés devant le grand écran. Mercredi dernier était organisée au même endroit une séance pour enfants où Kirikou était projeté, la séance était assez bruyante, les enfants pas mal agités mais là, ce n’était pas le cas, peut-être du fait qu’ils soient surpris. A la fin de cette courte séance impromptue, beaucoup sont naturellement venus me faire la bise et serrer la main à Yann, pour nous remercier, chouette moment, la soirée s’annonce bien.
19h30 arrive (l’heure annoncée sur les affiches collées un peu partout dans la ville par Dar Souiri, d’où l’intérêt d’organiser la séance avec une association locale) et les gens n’arrêtent pas d’entrer, on remettra des chaises supplémentaires, au final : 130 personnes, quelle réussite ! De plus, le public est très éclectique, des familles marocaines, des français vivant à Essaouira, des touristes de passage, quelques jeunes et pas mal d’enfants. Après une présentation en français traduite en arabe, le film commence et je me mets vite à douter de la réussite de la soirée… Le film conte l’histoire d’une femme ne voulant plus avoir à faire aux hommes mais qui se retrouve dans les bras d’un homme pas très brillant, qui réussit à l’embobiner et… ils couchent ensemble ! Au malheur, à travers le voile d’un baldaquin, on voit l’ombre de leurs deux corps en train de faire des choses pas très catholiques (dirons-nous plutôt pour l’occasion pas très musulmanes) et là, s’en est trop. Au même moment, plusieurs personnes sortent de la salle, un homme passe même devant le vidéoprojecteur pour récupérer son enfant et filer. Deux employés de Dar Souiri viennent nous voir Yasmina et moi : « Vous avez vu le film ? Combien y-a-t-il de scènes de ce genre ? Il faut avancer le film pour passer la scène. » Je n’avais pas pensé que cela allait choquer, me rappelant qu’on ne les voyait pas tout nu. Carole, rencontrée au Triskella, sort également de la salle avec une amie marocaine et j’en profite pour discuter avec elles. Son amie Aicha m’explique qu’elle ne peut pas rester, elle ne peut regarder ce genre de scène, ça la gêne, et surtout pour le fait qu’il y ait des enfants dans la salle, elle pense qu’il fallait leur interdire la projection (comment aurions-nous pu faire cela, en organisant une séance libre et gratuite, sachant en plus que la plupart des enfants étaient accompagnés de leur parent !). Un autre problème s’ajoute au film : on comprend mal les paroles, le son est sourd (du certainement à l’acoustique de la salle) et l’accent sénégalais n’arrange pas les choses. Ne comprenant pas complètement le propos du film, l’impact des images se fait davantage ressentir. Je suis un peu mal de cette situation, nous n’avons pas regardé le film à quatre comme on le fait habituellement et je sens que Yann me reproche un peu ce choix osé, ce qui me met encore plus mal à l’aise. Carole et Aicha me rassurent, c’est une expérience, et les marocains ne nous en veulent pas, ils savent qu’on a une culture bien différente de la leur. Entre temps, les flics passent, reposant leurs inlassables questions : « Avez-vous l’autorisation de faire cette projection ? Qui est cette association venue de France ? Quelles sont ces motivations ? Quel film est projeté ?… ». Nora, la réceptionniste de Dar Souiri, s’explique avec eux et le tour est joué, ils repartent sans soucis.
Je retourne dans la salle et relativise en comptant le nombre de personnes restant, finalement les gens ayant quittés la salle sont loin d’être majoritaires. La séance se termine, je reste près de la sortie pour cueillir la réaction du public qui est en fait très positive : « merci, merci, le film était très intéressant, très bon sujet, qui devrait amener un débat, c’est le premier film africain que j’ai l’occasion de voir, merci… » OUFF, ça rassure ! La cerise sur le gâteau est que je termine la soirée à discuter avec Caroline, une haïtienne rencontrée à notre dernière projection à Triskella, qui a bien compris notre projet et qui me motive à rester sur cette voie, elle m’explique que je ne dois pas regretter le choix de ce film, il faut être audacieux, sinon il n’y a aucun intérêt, c’est sûr c’est risqué, on peut choquer, mais dans le lot, on réussira toujours à éveiller quelques consciences…
Ce fut une très bonne expérience, 1h30 que je vais me souvenir ! Ce n’est pas facile de réaliser un tel projet, ça promet pour la Casamance !
Voilà, sinon, ce passage à Essaouira semble vouloir se prolonger à cause de la météo (il annonce beaucoup de vent jusqu’à jeudi mais surtout, des vagues allant jusqu’à 7m! On préfère rester au port attendre que cela passe…), on ne va pas pouvoir partir avant vendredi. Mais je pense que nous n’allons pas regretter de rester un peu à Essaouira, à partir de jeudi débute le festival des Andalousies Atlantiques : musique venant du Maroc, d’Algérie, de France, d’Espagne et du Canada, avec notamment du flamenco, l’ensemble El Gusto regroupant musiciens musulmans et juifs d’Algérie, et même, Paco Ibanez ! On va se régaler.
En plus, cet arrêt nous a permis, en plus des projections, des rencontres (notamment Brian et Carole du voilier Timshel, qui viennent de repartir sur Agadir mais que l’on retrouvera certainement sur la route!) et des visites de cette vieille citée, de réduire un peu plus la liste des trucs à faire :
La fuite hydraulique est réparée par une belle bidouille à la marocaine.
Changement de place des couverts et assiettes pour un nouvel et troisième essai de l’emplacement des légumes. C’est caractériel les légumes en mer.
Et une assise confortable trône à la proue d’Evaloa.
Affaire à suivre lors des essais en mer.