Après cinq mois d’itinérance, nous réapprenons enfin à vivre de façon un peu plus « sédentaire ». Nous avons passé environ trois semaines à Niomoune, petit village éloigné de tout (dont d’internet, comme vous pouvez le voir à l’écart de nos messages), extrêmement imprégné de sa culture animiste. Nous apprenons à vivre au rythme local, comprendre le mode de vie casamançais… mais aussi ne l’oublions pas, nous organisons des séances de cinéma, qui continuent à faire carton plein.
La vie culturelle niomounoise bâtait son plein la semaine dernière ! En plus de la séance de cinéma nocturne dont je vous parlerais tout à l’heure, nous avons proposé un dessin-animé aux enfants à l’école un après-midi et organisé notre deuxième projection pour le collège sur le thème du sida.
Projection archi comble pour les enfants de l’école
De nouveau, beaucoup ont assisté à la séance, le trois quart du public était féminin ! Nous avons diffusé plusieurs courts-métrages écrits par des jeunes africains et réalisés par des cinéastes connus sur le thème du sida. Après chaque film, un petit débat était lancé, avec également une explication des films qui étaient en français. Le thème du sida intéresse énormément, on en parle peu à l’école et en famille, la séance était donc unique et on l’espère, déclenchera le débat sur cette maladie qui fait rage en Afrique (même si le Sénégal est loin d’être le pays le plus touché par ce fléau).
Entre temps, deux bateau-stoppeurs italiens ont débarqué à Niomoune avec un spectacle de cirque. Ils ont proposé à Yann deux heures avant de faire la musique et hop, en impro, c’est parti ! Au final : vendredi après-midi séance pour les enfants, vendredi soir pour tout le village, et le samedi après-midi, spectacle de cirque ! Niomoune était comblé par l’arrivée de voiliers plutôt innovants, apparemment ce n’est pas souvent, il faut en profiter !
Spectacle de cirque par Amadéo et Stephano, avec Yann à l’accordéon
Pour la séance du vendredi soir, nous avons passé « Madame Brouette ». Nous l’avions diffusé au Maroc, film qui avait fait un peu scandale à cause d’une scène d’amour, mais qui n’a posé ici aucun problème. Le sujet est très moderne et un peu délicat : les violences conjugales que subissent certaines femmes et le désir d’émancipation qui naît alors chez elles… Le film est en langue française, tourné au Sénégal, et même si certains ne parlent pas bien le français, vu la réaction du public, le message est bien passé ! Certaines femmes ont même pleuré et sont sorties bouleversées.
Petite anecdote cependant autour de cette séance : comme pour la séance précédente, nous avons demandé de l’aide aux jeunes du quartier d’Oback pour préparer la soirée, notamment pour rédiger et distribuer une affiche dans les différents quartiers de Niomoune. Je les laisse s’organiser et découvre l’affiche deux jours avant la projection. Quelle stupeur lorsque je lis l’intitulé : « ce vendredi, les blancs vous invitent à assister à leur grand cinéma à Som » ! Sur le coup, je suis bien choquée, d’autant qu’un ancien me répond : « Mais Pauline, ils ont écrit cela pour faire venir les gens, lorsque ce sont « les blancs » qui organisent quelque chose, cela donne un plus ! ». Face aux jeunes, il était en fait difficile de leur expliquer ma déception de nous voir réduits à l’appellation de « blancs », car eux le prenaient comme une faute de français et s’excusaient pour cela, et ce n’était pas l’objet de ma critique… Bref, ils n’avaient pas de mauvaises intentions en écrivant cela, c’est juste pour nous un constat un peu rude : nous restons des « blancs » qui organisent « un grand cinéma ». Sujet délicat car il est vrai, quant termes d’initiatives diverses, la majorité d’entre elles sont amenées par des ONG étrangères : à Niomoune par exemple, la construction de citernes, et de la bibliothèque. Mauvais exemple cependant car les citernes fonctionnent mal et personne n’a été formée au préalable pour les réparer. Du coup, elles pourrissent et le problème de l’accès à l’eau douce reste le même. L’effet encore plus pervers est que les niomounois ne s’investissent pas du problème, laissant « les blancs » s’occuper de tout ça. Pour la bibliothèque, le résultat n’est pas plus glorieux ; elle est désertée : 3 inscriptions en un an, dont la mienne il y a 15 jours ! Dur constat donc du travail des ONG, qui arrivent certes avec de bonnes intentions mais qui ne prennent parfois pas le temps de vivre sur place, donc de comprendre les besoins des habitants et surtout, qui n’organisent pas le suivi de ce qu’ils construisent. De nombreuses ONG viennent à Niomoune et en effet on ne voit pas que du bon. Mais ce n’est pas partout pareil et l’on découvre également d’autres initiatives plus positives réalisées par d’autres ONG en Casamance comme le développement de jardins (car cela vient d’une demande des femmes et qu’elles s’en occupent !). Je me permets cet aparté car la présence des ONG en Casamance et le rapport que cela suscite entre nous, toubab, et la population locale font l’objet de nombreuses discussions délicates qui ponctuent notre quotidien.
Revenons à la vie niomounoise, rythmée par la tradition : pas une semaine ne se passe sans cérémonie, sacrifice ou fête locale, c’est incroyable ! Plusieurs décès ont eu lieu pendant notre séjour, et comme je vous le précisais dans mon message précédent, la cérémonie est festive lorsqu’il s’agit d’une personne âgée, résultat : tout le monde boit du bounouk (l’alcool locale, le vin de palme). Si un sacrifice est organisé autour d’un fétiche, pour remercier par exemple les ancêtres d’une bonne récolte, de l’arrivée de la pluie… 60 litres de bounouk minimum sont amenés pour l’occasion, et sont partagés avec tous les villageois. Tout prétexte est donc bon pour boire du bounouk, que ce soit pour les femmes comme pour les hommes !
Vous l’avez bien compris, les gens de Niomoune vivent donc du bounouk (la plupart des hommes sont récolteurs, ils partent dans la brousse pour récupérer la sève des palmiers), et de la récolte du riz. Quel temps passé entre les graines dans les rizières et le riz dans l’assiette ! Nous, nous sommes arrivés juste après la récolte de riz, mais le travail n’était pas fini ! Le riz est ramassé en bouquet, qui est ensuite séché, battu puis trier.
Ensuite au village, le riz est séché puis récupéré avec un tamis
Nous sommes partis jeudi dernier de Niomoune, accompagnés des potes du voilier Goélane, pour un village tout près : Haere. En fait, Evaloa a posé l’ancre au mouillage d’Eringa, à 30 min à pied d’Haere, au campement d’Yves et Sosso. Yves était un autre de nos contacts l’année dernière lorsque l’on préparait le projet. Nous nous étions contacté par internet, Yves nous avait donné quelques conseils sur notre projet et sur la vie locale (il est français et vit depuis plusieurs années en Casamance), nous avions donc bien envie d’aller le rencontrer chez lui !
Avec l’aide de Michel, un jeune de Niomoune qui nous a accompagné à Haere, nous avons organisé deux projections le samedi au village : l’après-midi Kirikou pour les enfants, et le soir, nous avons projeté Sango Malo. L’instituteur avait nommé un représentant dans chaque classe pour récupérer un peu d’argent des élèves pour l’essence. Dès la fin de la projection de Kirikou, on est venu me remettre 2500 francs CFA (4 euros environ), quelle belle organisation !
Haere est un village bien plus petit que Niomoune, avec 300 à 400 habitants s’étendant sur plusieurs kilomètres, et pourtant, le public était nombreux, toujours avec beaucoup d’enfants. Ce même soir les femmes organisaient une cérémonie, encore une ! Une des femmes du village remerciait les ancêtres de la naissance de son bébé et pour se faire, elle a amené 60 litres de bounouk à la maternité. Vous y croyez ou non mais les femmes ont bu toute la soirée, sur les lits où elles ont accouché, donc dans un lieu pour nous complètement inapproprié ! La tradition animiste nous amène vraiment à vivre des moments incroyables ! On est passés à la maternité avec Katell, les femmes étaient ravies, elles nous ont bien-sûr offert le bounouk, on a dansé… inoubliable!
Sango Malo est un film qui a beaucoup parlé aux villageois. Le film se passe dans un village au Cameroun, où un nouvel instituteur vient révolutionner l’école en invitant les élèves à faire un jardin (je vous ai déjà raconté l’histoire, nous avons passé le film à Carabane), il crée aussi une coopérative, en parallèle est conté l’histoire d’un récolteur de vin de palme… Bref, tout ce que vivent les gens de Haere. Le film est en français mais a été bien compris : un ancien prend la parole à la fin de la projection pour nous remercier et déclare : « Nous n’avons pas uniquement besoin de bureaucrates, il faut également des gens qui travaillent la terre », exactement le message du film !
De nouveau nous avons été mille fois remerciés et nous espérons retourner à Haere pour faire une nouvelle séance. Passer 5 jours dans un village n’est pas suffisant, et une seule projection non plus ! Il serait en effet intéressant que l’on puisse projeter de nouveau un film avec un temps de décalage, et ça tombe bien, car nous restons six mois dans le coin !
Nous sommes arrivés depuis hier à Cachouane, un village encore plus petit, avec 250 habitants. Le village est magnifique, s’étendant tout au long du bolong. Je pense que nous allons à nouveau nous plaire ici. On va découvrir une vie locale certainement un peu différente car la tradition animiste est moins présente à Cachouane, les habitants étant en majorité musulmans ou catholiques.
Nous avons retrouvé une douarneniste, Aurélie, qui gère un campement touristique avec son mari Papis. Tous deux étaient venus à notre projection à Douarnenez juste avant notre départ et nous avaient invité à venir dans leur village, c’est chose faite !
En tout cas, on pensait qu’à Cachouane, on se rapprocherait d’internet… En effet, nous ne sommes plus qu’à 15 km du Cap Skiring, mais nous devons faire 8km à pied avant de rejoindre une route motorisée, à Djembering, d’où ensuite nous pouvons nous rendre au Cap en taxi-brousse, quelle expédition ! Vous voyez que nous sommes bien motivés pour vous donner des nouvelles ! Je ne suis pas trop pressée de faire le chemin du retour… Au moins, vous comprendrez pourquoi on ne peux pas répondre à tous vos messages.
J’en ai fini avec ce résumé de notre périple, et oui malgré la tartine que je viens d’écrire, j’ai du trier pour restreindre mon récit !
A Bientôt, Pauline et Yann