Depuis le dernier message, je me suis permise une petite escapade en dehors du Sénégal, pour assister au Fespaco, le grand festival de film africain qui a lieu tous les deux ans à Ouagadougou. La grande référence en matière de cinéma africain, je ne pouvais louper ça !
Un peu au dernier moment, je décide de prendre mon sac à dos et de me rendre seule en bus au Burkina. Je laisse Yann à Cachouane, ainsi qu’Agnes qui vient d’arriver en Casamance ! Nous étions à Cachouane depuis une semaine, nous avions déjà organisé une projection de film et deux autres étaient en cours, Yann les a géré seul en mon absence !
Ce voyage aura été riche en expérience, à tous niveaux et sur différents points de vue.
Pour se rendre au Burkina, c’est le parcours du combattant ! Yann me dépose d’abord en bateau à Elinkine, d’où je prends un taxi 7 places pour aller à Ziguinchor. Je dors dans le voilier Shagshag de Solène et Antoine et repars au petit matin, toujours dans un taxi 7 places, pour Tambacounda, pas très loin de la frontière malienne. Je rencontre alors une sénégalaise nommée Awa qui me prend sous sa coupe, nous voyageons ensemble jusqu’à Bamako.
Heureusement car le voyage en bus est assez chaotique, on s’arrête tout le temps sans savoir pourquoi, jusqu’à dormir à la gare de Kayes, alors que personne ne nous en avait informé. On s’est retrouvés à dormir dehors sur des nattes devant une télé, étant avec Awa, j’étais rassurée et plutôt en train de me marrer pendant que l’autre toubab qui voyageait dans le bus était lui complètement affolé, il a fait un scandale dans la gare pour qu’on lui trouve un taxi pour repartir. Mais entre Kayes et Bamako, les véhicules ne roulent pas de nuits, à cause « des coupeurs de routes », des gens armés qui mettent des troncs d’arbres au milieu du chemin pour stopper les véhicules et les voler. Pour rouler de nuit, il faut donc être escorté par les gendarmes ! Bref, l’anglais a bien du se calmer et est venu dormir à côté de moi, « En Afrique, il faut savoir être patient ». C’est vrai et pourtant en deux jours, j’étais rendue à Bamako, pas mal !
Je me suis posée quelques jours à la capitale malienne, le temps de faire mon visa et de rencontrer à l’auberge une journaliste danoise à la retraite, spécialisée dans le cinéma africain, se rendant évidemment au Fespaco, parfait ! Quel personnage, voyager avec elle fut quelque chose mais on a pu avoir de bonnes discussions sur le cinéma africain et surtout, elle m’a introduite à l’institut de cinéma de Bamako. J’ai notamment croisé Adama Drabo mais ma principale rencontre fut le cinéaste malien Abdoulaye Ascofaré, qui a réalisé le film Faraw, une mère des sables. Ce moment passé en sa compagnie restera dans ma mémoire, grande discussion sur le cinéma africain, il connaissait tous les films et moi je n’étais pas peu fière dans connaître les 3 quarts (même si je ne les avais pas tous vus car c’est toujours mission impossible pour visionner certains films africains, même culte). C’est un cinéaste engagé, fervent défenseur du droit d’auteur (donc par rapport à notre projet dans lequel on demande aux réalisateurs une exonération des droits de diffusion, ça collait pas trop…), on a beaucoup échangé sur la présence de la France dans l’économie du cinéma africain…
Je suis repartie de Bamako bien motivée à l’idée de rencontrer tous ces cinéastes, découvrir de nouveaux films. Bon, ça n’était pas aussi idyllique que je l’imaginais…
Pour commencer, énorme problème d’organisation du Fespaco, le 1er jour du festival, il n’avait déjà plus de passe ! Ah l’organisation africaine, même pour un festival de cette envergure, vraiment ça dénote ! Certains invités n’avaient même pas de badge, il fallait donc qu’ils payent les séances de cinéma, chose qu’ils trouvaient scandaleux, et ça se comprend !
A part ça, j’ai été bien déçu de la sélection. J’avais tout d’abord été surprise de la forte présence des films maghrébins, j’ai vite compris pourquoi, d’un point de vue qualité technique et artistique, y’a pas photos. Mais comme j’étais davantage au Fespaco pour découvrir le cinéma de l’Afrique noire, je n’ai pas trop vu de films du Maghreb. Je retiendrais Les jardins de Samira du marocain Latif Lalhou, par contre quelle surprise (pas très bonne…) en découvrant le nouveau film gros budget et holywoodien de Nabil Ayouch, Whatever Lola want, qui n’a rien à voir avec son ancien film Ali Zaoua.
Je me suis donc attachée à visionner les films d’Afrique de l’ouest et j’ai malheureusement découvert que la critique qu’on aimerait clichée du cinéma africain comme « cinéma à la calebasse », avait un penchant de vérité… La plupart des films que j’ai vu sont à la traine, toujours ancrés dans des histoires de tradition, sur un scénario qui tire en longueur avec une direction d’acteurs bof bof… Bref, décevant ! Très décevant même car j’aurais aimé croire qu’il existait un cinéma africain de qualité, en pleine expansion… Il faut pourtant s’avouer que ce n’est pas encore pour toute suite… (tout le monde ne doit pas être de mon avis mais comme je suis la seule à le donner, vous en faites ce que vous voulez !). Ils faut dire que le cinéma africain n’est pas aidé : aucun financement venant de l’état (alors qu’au Maroc par exemple, le roi injecte beaucoup d’argent dans le cinéma), plus de salle de cinéma pour distribuer les films, un cercle vicieux quoi… Certains films sortent tout de même du lot, je peux en citer un plutôt réussi, l’absence, du guinéen Mama Keita. Je dis « plutôt réussi » car le jeu de l’acteur principal fait un peu défaut, mais l’histoire est très bien construite, le film a d’ailleurs obtenu le prix du meilleur scénario. Il est tourné à Dakar et traite de l’exil, de la fuite des cerveaux africains.
Le film le plus marquant du Fespaco – et de loin – fut Teza, de l’éthiopien Haïlé Gérima, une fresque retraçant quarante ans de l’histoire éthiopienne, depuis les années 70. Teza, le seul film qui est vraiment sorti du lot, est celui qui a gagné le grand prix, appelé étalon de Yennenga.
En dehors des films, j’ai également pu faire de bonnes rencontres : Andrea Segre tout d’abord, documentariste italien qui réalise des films sur l’immigration clandestine entre la Lybie et l’Italie. Il nous avait envoyé un de ses documentaires, j’étais donc heureuse de pouvoir le rencontrer et lui parler de notre projet. Ses documentaires sont très politiques, il était très intéressant d’échanger avec lui sur le problème de l’immigration, et de notre impossibilité à convaincre les africains de ne pas venir chez nous… Il m’a donné quelques conseils pour organiser une éventuelle projection sur ce sujet, m’a donné un autre de ses documentaires, il viendra peut-être même nous rejoindre en Casamance pour présenter lui-même son film !
J’ai aussi rencontré l’association Africadoc qui monte des ateliers d’écriture au Sénégal et ailleurs, avec pour objectif d’aider les jeunes documentaristes africains. Cette association a été crée par un des fondateurs du festival du Film Documentaire de Lussas en Ardèche, Jean-Marie Barbe. Chaque année à la suite des ses ateliers de formation, ils organisent les « rencontres Tënk » qui réunissent les participants des ateliers qui exposent leur projet face à des responsables de télévision, des producteurs, distributeurs… Ces rencontres se passent cette année à Saint Louis en juillet, ils auraient aimé que l’on soit présents car il n’existe pas de cinéma à Saint Louis. Nous aurions donc pu diffuser les documentaires d’Africadoc mais juillet, cela fait tard pour nous qui aimerions être en France à cette époque pour quelques mois…
Par contre, j’ai rencontré Khalidou NDiaye, exploitant, distributeur et directeur du Festival de Cinéma Image et Vie qui se déroule chaque année à Dakar. Il est intéressé pour étendre le festival et organisé des projections à Ziguinchor avec notre collaboration, affaire à suivre…
Comme vous le voyez, je n’ai pas chômé à Ouagadougou. En plus du Fespaco, j’ai également passé de bons moments en compagnie des amis de Marion, dont Eva chez qui je logeais. J’ai pu découvrir autre chose que le festival de film, j’ai vécu pendant une semaine dans une famille burkinabaise et la journée pendant mes pauses films, j’allais rejoindre les gars au grand marché, où Eva, Seni, Gaston… tentent de vivre tant bien que mal en vendant ce qu’ils peuvent, avec un petit stand installé sur le trottoir. Pas tous les jours faciles, ils rêvent comme la plupart de la jeunesse africaine à partir pour la France… Surtout Seni en fait, ce qui nous a valu de longues discussions… Eva, lui, vit avec sa femme Dorothée et sa fille Lauren, il ne souhaite pas vivre à l’étranger mais aimerait comme nous pouvoir voyager, normal !
Grâce à Karen, la journaliste danoise, j’ai également rencontré une famille à Ouaga chez qui j’ai passé deux nuits, je me suis tout de suite fait adoptée ! Leur plus grande fille, Didi, est devenue mon amie, je suis allée avec elle à la fac et à la danse africaine, encore de bons souvenirs, merci !
Mon retour fut moins agréable, trop trop long… J’ai du passé une nuit à Bamako (mais j’ai eu de la chance en rencontrant dans le bus un cinéaste français habitant à Bamako avec sa femme qui m’a gentiment logé chez lui), une de nouveau à la gare de Kayes et une dernière à Tambacounda. Le trajet en bus a été interminable : longue attente à la frontière, deux pannes (roue crevée puis fuite de gazoil), tout ça sous une chaleur intenable, à trois par siège.
Le voyage était également pénible au niveau du fond : déjà, un nigérien s’est assis à côté de moi juste parce que j’étais blanche et que cela lui donné une chance de partir de l’Afrique, du coup il ne m’a pas lâché pendant deux jours ! En effet, beaucoup de nigériens et de gambiens voyageaient pour le Sénégal, dans le but de partir en pirogue clandestinement pour la France. J’avais beau discuté avec eux pour les en dissuader, je sais qu’ils le feront quand même au risque de leur vie. Ils n’avaient presque pas de bagages ni d’argent, les nigériens ont pourtant du payer 10 000 francs CFA (16 euros) à la frontière malienne, et la même somme à la frontière sénégalaise. Forcément ils trouvaient ça injuste, pendant que moi, à la frontière sénégalaise, je n’ai rien eu a payé… En plus de ça, chaque passager doit payer 1000 francs à chaque poste de police, pas les postes frontières, non, les postes de police ! Sans raison valable, les policiers demandent 1000 francs à chacun et personne ne rétorque ! Pourquoi ne m’a-t-on pas demandé cette somme ? Parce que j’aurais refusé ou parce que j’avais déjà payé un visa ? Toujours est-il que la corruption fait toujours autant de ravage et on a du mal, face à ce constat, à penser que l’Afrique va se relever, la jeunesse ne pense qu’à quitter l’Afrique pendant que les fonctionnaires, si mal payés, tentent de rattraper ça en soutirant de l’argent à la population…
Allez, je vous laisse avec le récit de Yann, comme ça on ne va pas finir ce message sur une mauvaise note !
Seul sur mon bateau, un vieux rêve qui n’aura pas duré longtemps…
Dès le lendemain du départ de Pauline, je gérais la dernière séance prévue de Cachouane.
Seul comme un grand, j’ai même pris le micro pour la présentation du film (Pauline aurait été fier de moi !).
Le cinéma rangé, j’ai commencé à organiser mes chantiers prévus en l’absence de Pauline. Evidemment, à peine commencé, me voilà parti à Bouyouye avec Goélane pour un festival itinérant autour de Cap Skiring. Sur place, je retrouve Adeline avec qui j’avais fait le spectacle en bateau il y a 3 ans .Elle repartira avec moi pour une réelle free partie à Djoratou organisée pour le départ des voiliers Shagshag et Kalanag, deux couples de jeunes amis qui traversent en ce moment l’atlantique. Une bonne douzaine de bateaux se sont retrouvés sur une plage paradisiaque avec les amis des villages voisins. Dès le matin, la fête s’auto-organise, certains vont pêcher, d’autres vont chercher les récolteurs pour le bounouk, pendant que nous installons les paillasses, la cuisine, préparons le feu et le repas. Une petite dizaine de musiciens d’origines diverses, deux saxos, deux accordéons, deux guitares, le tout au rythme des chants et percus diolas. On a mis l’ambiance pendant plus de 24 heures.
La fête finie et la plage nettoyée, nous retournons à Cachouane où l’on rejoint Agnès (l’amie de Pauline), accompagnée de Zoé, une autre amie de la Varenne. Trois jours de retrouvailles festives puis nous partons pour Elinkine chercher Laurent, le copain d’Adeline, qui lui-même est arrivé avec 3 autres amis. Nous partons à 5 le lendemain pour une mini croisière festive direction la Pointe Saint George pour y observer les lamantins (gros éléphants de mer). Laurent en a profité pour découvrir la vie des récolteurs en accompagnant Julien de Goélane à la source du bounouk. Le mouillage légèrement houleux nous a déplacé dans un petit bolong voisin d’où l’on a posé l’ancre à Djiromaite, encore un village sans courant ni voitures où comme les autres, l’autonomie et l’atmosphère paisible y sont les principaux atouts.
Mouillé à couple de Goélane à 10 m d’une habituelle plage paradisiaque, l’énergie de cette petit communauté flottante m’a bien motivé à organiser une projection.
Me voila donc parti avec Lolo pour les formalités habituelles (rencontre du chef, du foyer des jeunes, ….). Sur la route nous rencontrons Iphigénie, une jeune villageoise débordante d’énergie à l’idée d’organiser une projection, chose qu’elle n’avait jamais vue. Elle nous a tout organisé avec son oncle Omar (un pêcheur qui a domestiqué un cormoran pour la pêche) chez qui l’on a passé de très bons moments.
Le lendemain, une soirée cinéma prend forme précédée d’un concert de Laurent et Adeline qui ont profité des instruments du bateau pour partager leurs talents de musiciens. Le public a payé une entrée pour rembourser les 3 litres de carburant : 50 frcsCFA pour les grands, 25 pour les petits, un peu cher je leur ai dis mais le village est quand même venu. L’émerveillement fut général entre musique de l’Est et cinéma africain. Je n’ai pas pu refusé de refaire une projection le lendemain, gratuite celle là, grâce aux entrées de la veille qui ont payé deux séances. Un dimanche après midi dessins animés avec petits et grands suivis de Pièces d’identités, le film fraîchement projeté à Cachouane mais qui m’avait bien plus (c’est l’histoire d’un chef de village camerounais parti chercher sa fille en Belgique dont il est sans nouvelles . Pas sorti de son village depuis 58, je vous laisse imaginer ses réactions loufoques face à des banalités comme la douane, les administrations, la culture citadine… Un film drôle et touchant réalisé par le congolais Mweze Ngangura, qui a reçu l’étalon de Yennenga au Fespaco en 2005).
La projection finie, nous rangeons le matériel pour repartir au petit matin direction Djilapao, petit village toujours aussi beau où là, par contre, il n’y a pas d’école. Résultat : une petite cinquantaine de personnes âgées dispersées dans deux quartiers qui paraissent abandonnées. Seule la célèbre case à étage déplace quelques touristes. Cet endroit avec son calme absolu sert de garage à bateaux, une bonne douzaine de plaisanciers y hivernent en effet leur voilier. Pauline revient, nous ne resterons donc que deux nuits et repartons pour Ziguinchor. Goélane va également y rester quelque temps afin de préparer leur départ pour l’autre continent.
C’en est enfin fini pour les nouvelles d’Evaloa !
Au programme pour les semaines à venir : après un séjour à Ziguinchor toujours trop long à notre goût (cause internet, course, travaux sur bateau…) nous partirons pour Affiniam, puis on retourne à Carabane pour participer à leur festival socio-culturel qui a lieu du 30 mars au 6 avril. Entre temps, nous allons retrouver Camille, un ami de Paris rencontré en Bretagne l’année passé. Il a une maison à Kafountine mais a sa belle famille à Kouba, un tout petit village perdu dans un bolong dans les îles karones et il a bien l’intention de nous emmener là-bas… Bref, notre programme est encore bien chargé, on verra ce qu’on en fera !!